La dernière toile qu'on s'est matée ce soir, ma moitié et moi, c'est un Ken Loach pur jus : "Jimmy's hall", ça s'appelle. Ken Loach, en bon britannique gauchiste, avait déjà fait souffler le vent de la colère il y a longtemps (2006), dans son film sur la guerre civile irlandaise du début du siècle, "Le vent se lève". Un opus qui filait grave le frisson en diffusant dans nos coeurs outrés le vent de la révolte. Récemment il avait fait plus léger mais toujours très fort avec son remarquable "La part des anges", une chronique sociale intimiste aussi dure que sensible, que priseront les amateurs d'excellent whisky, s'il y en a sur ce forum à part mézigue. Il revient ici sur un sujet historique pour donner libre cours à son aversion (anticléricale) envers les puissants oppresseurs des classes populaires, en l'occurence dans les années 30. Dans l'Irlande épuisée par la crise de 29, Jimmy Gralton revient au pays, qui l'a exilé 10 ans plus tôt pour faits de subversion. Poussé par ses anciens amis, il tente de rouvrir dans son bled paumé le dancing/académie populaire qu'il avait monté avec ses potes, où lui-même et ses amis bénévoles tentaient de faire profiter leurs proches de leurs compétences, en les sensibilisant aux activités du corps et de l'esprit : littérature, danse, dessin, sport...Un beau projet qui lui avait valu l'expulsion, à cause de ses idées communistes affichées, pas du tout du goût des classes dominantes, l'église et les grands propriétaires de sa région rurale. Sa tentative pour renouer avec une pratique de l'éveil culturel plaît d'autant moins qu'il rapporte dans ses cartons une musique nouvelle encore plus diabolique que les gigues irlandaises, pourtant si aptes à délier les gambettes : le jazz, une provocation au libertinage pour les curés de l'époque, à cause de ce que peuvent distiller comme appétits dans les coeurs du bas peuple ses déhanchements ou les contacts rapprochés des corps en transes. Le film nous plonge dans cette époque difficile. Jimmy débarque avec son oxygène comme une sorte de messie pour ses amis, les paysans sans terre miséreux. Il leur insuffle son énergie joyeuse et généreuse, il leur ouvre l'esprit de nouveau, et ça plaît pas aux puissants. Inutile de dire que le happy end n'est pas vraiment au programme des réjouissances. C'est pas aussi violent que "Le vent se lève" mais ça dépote bien quand même. En prime, la lumière magnifie la photo des paysages irlandais, des scènes d'intérieurs, des gueules marquées de rudes paysans comme des corps de jeunes filles dansant. Et bien sûr rien que la bande son vaut le déplacement ! Merci, et respect Mr Loach.
_________________ "Y a une route c'est mieux que rien Sous tes pieds c'est dur et ça tient" Gérard MANSET
Dernière édition par monomental le 06 Juil 2014, 08:13, édité 1 fois.
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