Mi-Pétrole Majeur a écrit:
Le paradoxe de l'amour/domination, fantasme ou critique selon Bartabas ?
Je n'ai pas vu ce film mais j'ai vu Mazeppa. 100 fois au moins. Détestable et fascinant.
Et quand je lis ta critique, j'ai l'impression qu'il a remis ça.
Fascination, c'est le mot. Bartabas avait dans mon esprit (et dans mes tripes) une place à part jusqu'à ce film : celle d'un gars qui revendique de s'être (dé)voué aux chevaux qu'il fait entrer dans les...oeuvres d'art que sont ses spectacles.
J'ai vu Mazeppa aussi. Je crois me souvenir d'un long plan de l'artiste attaché/entravé au cheval qui galope, une sorte de vision infernale métaphorique, l'homme en souffrance et l'animal forcé jusqu'à la sueur blanche. Je n'avais pas vu de beauté dans ce plan d'enfer, car la sueur blanche est la honte du cavalier...J'ai par contre un autre souvenir : un bref temps de beau galop en arrière dans la cour d'un château, vision symbolique d'un absolu d'harmonie. Car le galop en arrière est une prouesse "contre nature" qui suppose un animal en pleine confiance, en pleine impulsion, très fort mais complètement à l'écoute, autant qu'un cavalier hyperfin. Le genre de difficulté qui ne se réalise que dans la complicité, après des mois et des mois de progression sans erreur. Mazeppa, encore un film confidentiel qui ne peut plaire au grand nombre. "Détestable et fascinant", dis-tu. Je ne sais pas si tu es cavalière, mais ton analyse est fine !
Ici, dans "Le Caravage", la plus belle scène à mes yeux est peut-être celle qui montre Bartabas entrant dans un hangar où stationne une harde de chevaux quelconques paisibles, au repos. Il se fraie un chemin jusqu'à un mur dans mon souvenir, s'accroupit et laisse venir à lui quelques animaux qui entreprennent comme lui une (re)prise de contact tranquille, faite du contact des naseaux qui flairent et des dents qui grattent, des mains qui caressent et du nez qui rend le souffle odorant. L'homme qui accepte d'essayer un langage cheval, quoi...Cette séquence est à l'honneur de Bartabas.
Pour le reste, on le voit surtout venir "prendre possession de son joujou" après que ses palefrenières l'aient longuement toiletté et préparé pour la séance de travail. Seigneur des lieux silencieux, sans un mot, sans un merci surtout, il s'installe en selle et gratte jusqu'aux progrès du geste. Au début il râle un peu, élève la voix, rien à dire jusque là. Le cheval n'est pas forcé. Mais après quelques séances l'homme utilise souvent la rêne allemande, un truc vicieux et contraignant à ne surtout pas mettre entre toutes les mains, qui devrait je pense disparaître des clubs tellement il casse facilement les chevaux dans leur tête autant que dans leur corps. Lui, le grand Bartabas, a assez de finesse pour en faire bon usage, mais faut-il proposer cet engin de torture comme une solution que ses petites fans s'empresseront d'essayer ?...
On le voit aussi rouscailler lors de la mise au point d'une séquence d'ombre chinoise de chevaux galopant, couplée judicieusement avec la course hésitante de ses palefrenières danseuses. Une belle séquence mais un mec pas facile à vivre, apparemment.
Je sais qu'avant de connaître la consécration, Bartabas en a bavé des ronds de chapeau. Mais peut-être que le succès l'a un peu gâté, en tant qu'homme au milieu des hommes.
Et puis ses chevaux de spectacle ne semblent plus beaucoup voir le plein air, la nature ouverte et les grands espaces, et ça ça me gêne.
Détestable et fascinant... Décidément c'est une formule intéressante.